Juxta Crucem tecum stare
Juxta Crucem tecum stare
Méditation pour la fête des Sept Douleurs
de la Bienheureuse Vierge Marie
Juxta crucem tecum stare
et me tibi sociare
in planctu desidero.
En ce jour solennel, où l’Église célèbre la Bienheureuse Vierge Marie des Douleurs, ma méditation aura pour objet les Sept Douleurs, que nous voyons symbolisées dans l’iconographie sacrée par sept épées qui transpercent le Cœur Immaculé de Notre-Dame. Je voudrais les contempler dans leur relation avec les événements de l’Église, dont Notre-Dame est Mère et Reine. Non seulement cela : elle est une figure de l’Église, et tout ce que nous disons sur la Mère de Dieu, nous pouvons en quelque sorte l’appliquer à l’Épouse de l’Agneau. Cela s’applique autant aux triomphes et aux gloires des deux qu’à leurs peines et à leur participation à la Passion rédemptrice du Christ.
I. Notre-Dame au Temple écoute la prophétie de Siméon
Il est ici pour la ruine et la résurrection de beaucoup en Israël, un signe de contradiction pour que les pensées de nombreux cœurs soient révélées. Et une épée percera votre âme (Lc 2, 34-35). Ce sont les paroles de Siméon à la Vierge, dans lesquelles la Passion rédemptrice du divin Sauveur et la co-rédemption de Sa Très Sainte Mère sont annoncées. Mais elles s’appliquent aussi à l’Église, qui est ici pour la ruine et la résurrection de beaucoup, et un signe de contradiction. Elle aussi participe dans le Corps mystique à « ce qui manque aux souffrances du Christ » (Col 1, 24), le nouvel Israël, lumen ad revelationem gentium, ville placée sur la montagne, nouvelle Jérusalem.
C’est pourquoi nous aussi, enfants de l’Église, nous sentons nos âmes transpercées en voyant l’Épouse de l’Agneau, destinée à être Domina gentium, gravissant son Calvaire, rejetée comme le Verbe éternel par ceux qui marchent dans les ténèbres : et mundus eum non cognovit (Jn 1, 10), et sui eum non receperunt (Jn 1, 11). Et si la Mère de Dieu a été épargnée par l’outrage auquel Notre Seigneur ne voulait pas se soustraire, il convenait néanmoins que le Corps soit flagellé et humilié par le nouveau Sanhédrin, comme l’était sa Tête.
Quis est homo, qui non fleret,
Matrem Christi si videret
in tanto supplicio?
II. La fuite en Égypte
Face à la persécution d’Hérode, la Vierge et saint Joseph s’enfuient en Égypte, pour sauver l’Enfant Jésus. Ils abandonnent tout, ils quittent leur maison et leurs affaires, parents et amis, pour protéger le Seigneur et Le sauver de la fureur meurtrière d’Hérode. Imaginons la douleur de Notre-Dame, en voyant la vie de son Fils menacée. Imaginons le souci de saint Joseph, exilé dans un pays étranger, parmi les païens, seul avec l’Épouse et l’Enfant Jésus.
Nous aussi, comme les chrétiens persécutés, nous sommes contraints à l’exil, à la fuite, aux mille inconnues de devoir nous éloigner de notre foyer et de nos proches pour sauver le Sacerdoce et la Sainte Messe, à travers lesquels le Seigneur perpétue son Sacrifice. Nous nous retrouvons à devoir fuir même les églises, les monastères, les séminaires : parce qu’un nouvel Hérode tente d’éliminer ce signe de contradiction qui l’accuse, et qu’il voudrait remplacer par une religion humaine, œcuménique, écologiste et panthéiste ; un Christianisme sans Christ, un Sacerdoce sans âme surnaturelle, une Messe sans sacrifice. Cette épée qui transperce le Très Sacré Cœur de Jésus et le Cœur Immaculé de Marie transperce aussi le nôtre. Mais tout comme la fuite en Égypte a été relativement brève, la nôtre aussi ; nous attendons que l’ange nous répète les paroles qu’il a adressées à saint Joseph : Lève-toi, emmène l’enfant et sa mère avec toi et va au pays d’Israël ; car ceux qui menaçaient la vie de l’enfant sont morts (Mt 2, 19-20).
Tui Nati vulnerati,
tam dignati pro me pati,
pœnas mecum divide.
III. La découverte de Notre Seigneur dans le Temple
Après être allés à Jérusalem pour célébrer la Pâque, la Vierge et saint Joseph rejoignent la caravane pour rentrer chez eux, mais se rendent compte que Jésus n’est ni avec eux ni avec leurs proches. Ils Le cherchent pendant trois jours, retournant à Jérusalem, et ils Le trouvent dans le temple, avec les docteurs de la Loi, occupé à expliquer les prophéties messianiques de l’Ancien Testament et de Se révéler à eux. Quel tourment Marie et Joseph ont-ils dû ressentir, de peur d’avoir perdu Celui dont l’Archange Gabriel avait dit : « Il sera grand et appelé le Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père et Il régnera pour toujours sur la maison de Jacob, et son royaume n’aura pas de fin » (Lc 1, 32-33). La joie de retrouver le jeune Jésus dans le temple a dû être grande, mais en ces trois jours d’angoisse sans leur propre Fils à leur côté – Celui qui avait toujours été subditus illis (Lc 2, 51) – toutes les peurs les plus atroces ont dû les consumer. Face à ces réactions si humaines, si vraies, nous devrions nous demander quelle est notre attitude quand, avec le péché, nous perdons nous aussi Jésus, qui s’éloigne de nous non pas pour suivre sa propre vocation, mais parce que nous avons souillé et rempli de saleté la demeure de notre âme.
En regardant la situation présente dans laquelle se trouve l’Église, nous pourrions nous demander – avec les paroles de la « prophétie » du Vénérable Pontife Pie XII qui répètent celles de Marie-Madeleine (Jn 20, 13) – « où L’ont-ils mis ? », lorsqu’en entrant dans une église, nous cherchons en vain un signe de la Présence Réelle, une lampe rouge allumée près du Tabernacle. Nous nous demandons « où L’ont-ils mis ? » même quand, témoins des rites réformés, nous voyons exaltée la figure du “président de l’assemblée”, le rôle de la zélatrice du temple qui lit la prière des fidèles, la religieuse sans voile qui distribue ostentatoirement la Communion ; mais nous ne trouvons aucun espace, aucune centralité, aucune attention à Dieu incarné, au Roi des rois, au divin Rédempteur présent sous les voiles eucharistiques. Nous demandons « où L’ont-ils mis ? » lorsqu’en entrant dans l’église où jusqu’à hier nous étions assurés de la célébration dans l’ancien rite, nous trouvons la table protestante, et le siège du célébrant placé devant le Tabernacle vide. « Angoissés, nous T’avons cherché » (Lc 2, 48).
Où est donc le Seigneur ? Dans le temple. Dans une petite église clandestine, dans une chapelle privée, sur un autel de fortune installé dans un grenier ou dans une grange. Là où Notre Seigneur aime être : avec ceux qui ouvrent leur cœur et leur esprit à Sa Parole, se laissant guérir par Lui, Lui permettant de nous guérir de l’aveuglement de l’âme qui nous empêche de Le voir. « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je dois prendre soin des choses de mon Père ? » (Lc 2, 49). Lorsque nous ne trouvons pas Notre Seigneur et que nous nous abandonnons à l’angoisse et au désespoir, nous devons revenir sur nos pas, aller Le chercher là où Il nous attend.
Fac, ut ardeat cor meum
in amando Christum Deum,
ut sibi complaceam.
IV. Notre-Dame rencontre Jésus portant la croix
V. Notre-Dame au pied de la Croix
VI. Notre-Dame est témoin de la crucifixion et de la mort de Jésus
Voici une autre Douleur de la Vierge et de l’Église : la vue de Notre Seigneur flagellé, couronné d’épines, chargé de la Croix, objet d’insultes, de gifles et de crachats. L’Homme des Douleurs d’une part ; la Mater dolorosa de l’autre. Une Mère dont la conscience de la divinité du Fils, jalousement gardée depuis le Fiat, déchire le Cœur lorsqu’elle contemple le Roi des Juifs tués par eux, excités par les Grands Prêtres et les scribes du peuple, complices craintifs de l’autorité impériale : « Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père et Il régnera pour toujours sur la maison de Jacob et son royaume n’aura pas de fin » (Lc 1, 32-33). Voici le trône de David, voici le royaume sur la maison de Jacob : le Père qui accepte l’offrande du Fils, dans l’amour du Saint-Esprit, pour rétablir l’ordre brisé par le péché d’Adam et expier la faute infinie de nos premiers Parents. Regnavit a ligno Deus, nous chantons dans le Vexilla Regis. Et c’est précisément de la Croix que règne le Christ, couronné d’épines.
Mais si le bouc émissaire qui était symboliquement chargé des fautes et des péchés du peuple était fait objet de mépris et envoyé mourir hors des murs de Jérusalem, quel sort pouvait attendre Celui dont ce bouc était une figure, sinon prendre sur Lui les péchés du monde pour les laver dans son propre Sang, hors des murs de Jérusalem, sur le Calvaire ? La douleur de la Mère de Dieu de voir son Fils outragé et conduit à la mort comme un criminel lui a valu le titre de Corédemptrice : « C’est ainsi qu’elle a souffert et failli mourir avec son Fils souffrant et mourant, alors elle a renoncé pour le salut des hommes à ses droits de mère sur ce Fils et l’a sacrifié pour apaiser la justice divine, pour qu’on puisse dire, à juste titre, qu’elle a racheté le genre humain par le Christ » (Benoît PP XV, Inter sodalicia).
L’Église aussi, à partir du Calvaire, avec la Vierge et saint Jean au pied de la Croix, a dû pâtir de terribles souffrances en contemplant la Passion de son Seigneur. Nous aussi, ses enfants dans le Baptême par la grâce de Dieu, avons le cœur transpercé de voir comment Jésus dans le Saint-Sacrement est traité par ses propres ministres, comment Il est considéré comme un hôte qui dérange, qui prive de visibilité les égocentriques de l’actuosa participatio et les fanatiques du dialogue œcuménique. Nous sentons nos cœurs déchirés quand nous entendons les plus hauts représentants de la Hiérarchie nier la divinité du Christ, Sa Présence dans le Saint Sacrement, les quatre fins du Saint Sacrifice, la nécessité de l’Église pour le salut éternel. Parce que dans ces erreurs, dans ces hérésies, dans ces mensonges, nous lisons non seulement la lâcheté et la courtisanerie sordide envers les ennemis du Christ, mais cette même attitude méprisante et hypocrite du Sanhédrin, prêt à recourir à l’autorité civile afin de maintenir un pouvoir usurpé et administré contre la fin pour lequel le Christ l’a institué. La perversion de l’autorité ecclésiastique est la chose la plus atroce et la plus déchirante qui puisse exister, comme si un enfant devait être témoin de l’adultère de la mère ou de la trahison du père.
Cujus animam gementem,
contristatam et dolentem
pertransivit gladius.
VII. Notre-Dame reçoit dans ses bras Jésus déposé de la Croix
Celle qui avait porté dans son sein et donné naissance au Fils du Très-Haut dans la misère d’une crèche mais entourée des chœurs des Anges, se retrouve à devoir accueillir les membres morts du Sauveur, comme gardienne de la Victime Immaculée. Quelle a dû être sa douleur sourde et lugubre en recevant le cadavre adulte de ce Fils qu’elle avait si souvent serré en ses bras quand Il était bébé puis enfant ! Les membres abandonnés par la vie lui auront semblé encore plus lourds pour Celle qui gardait la Foi alors que tous les Apôtres s’étaient enfuis. Mater intemerata, disons-nous dans l’invocation des Litanies : une Mère qui ne connaît pas la peur, qui est prête à tout pour son Fils ; une Mère que le monde infernal du Nouvel Ordre déteste d’une haine inextinguible, voyant en elle la force invincible de la Charité, prête à se sacrifier pour l’amour de Dieu et du prochain par amour de Lui. Ce monde apostat cherche à effacer la Mater intemerata en corrompant l’image même de la maternité, en faisant de celle qui doit protéger son enfant, son meurtrier impitoyable ; en renversant la Mater purissima avec le péché, l’immodestie et l’impureté ; en rendant la féminité laide et dégradante pour enlever à chaque femme ce qui rappelle la Mater amabilis.
Aujourd’hui, l’Église souffre avec Notre-Dame des Douleurs de s’être inclinée devant la mentalité sécularisée, d’exalter une féminité rebelle, qui abhorre la virginité, se moque de la sainteté conjugale, démolit la famille et revendique un droit déformé à l’égalité des sexes. Aujourd’hui, la Hiérarchie fait taire les triomphes de la Très Sainte Vierge Marie et vénère la Terre Mère, l’idole sordide et infernale de la Pachamama. Parce que la Vierge et l’Église sont le plus grand ennemi de Satan ; parce que la Vierge et l’Église sont les gardiennes du petit troupeau, rassemblé au Cénacle, par peur des Juifs.
Offrons ces souffrances qui sont les nôtres, en les unissant à celles de toute l’Église et de la Très Sainte Vierge Marie, afin que la Majesté de Dieu nous accorde le privilège d’assister au triomphe de l’Église, Corps mystique du Christ, comme après trois jours, sa Tête a été glorieusement ressuscitée pendant que dormaient les gardes. Alors nous verrons Notre-Dame des Douleurs reprendre ses vêtements royaux, pour chanter l’éternel Magnificat.
Fac me cruce custodiri
morte Christi praemuniri,
confoveri gratia.
+ Carlo Maria Viganò, Archevêque
15 septembre 2022
In festo Septem Dolorum B.M.V.
©Traduction F. de Villasmundo