Lettre ouverte à l’Évêque de Novara
Lettre ouverte
à S.E. Mgr Franco Giulio Brambilla, Évêque de Novara,
sur l'application du Motu Proprio ``Traditionis Custodes``
Excellence Révérendissime,
Votre récente décision (ici) de suspendre la célébration de la Liturgie tridentine dans l’église de Vocogno et dans la chapelle de San Biagio, dans les vallées de l’Ossola, a provoqué une grande amertume chez des milliers de fidèles et de prêtres liés au Rite traditionnel. Après des années d’application du Motu Proprio Summorum Pontificum, la froideur avec laquelle vous avez exécuté Traditionis Custodes suscite une profonde indignation, malgré le fait que les facultés reconnues par le Code de Droit Canonique aux Ordinaires diocésains vous permettaient d’y déroger.
Je peux comprendre comment votre rôle d’Évêque et de Successeur des Apôtres est mis à l’épreuve par les pressions d’un autoritarisme évident exercé par Rome. Je comprends aussi que, devant choisir entre l’obéissance aux diktats romains et la protection des sacro-saints droits des fidèles, le choix humainement le plus simple est celui qui, en d’autres temps, a conduit Don Abbondio à devenir complice des abus de Don Rodrigo et de l’Innommé. Cette messe ne peut être célébrée, parce que c’est ce que veut le puissant.
L’« église de la miséricorde » se trouve à exercer son pouvoir avec la force de la coercition, qui s’évapore quand elle devrait être utilisée pour assainir des situations bien plus graves : déviations théologiques, aberrations morales, sacrilèges et irrévérences dans le domaine liturgique. L’image de la Hiérarchie donnée au peuple de Dieu se résume dans l’adage : Fort avec les faibles, faible avec les forts. Ce qui, si vous me le permettez, est exactement le contraire de ce que Vous vous êtes engagé à faire en tant qu’Évêque.
Les nombreux appels à la parrhésie et à la synodalité sont quotidiennement démentis par des décisions autoritaires, mues par ce cléricalisme si souvent déploré en paroles. Quel crime exécrable les fidèles de Vocogno et de San Biagio ont-ils commis, pour être privés de la Messe traditionnelle, reconnue par Benoît XVI comme « jamais abrogée » et aujourd’hui supprimée comme source de division parce que contraire à l’ecclésiologie de Vatican II ? Où est la fameuse herméneutique de la continuité ? Où est l’attention portée au peuple de Dieu et l’écoute dont on parle tant au Synode sur la synodalité ?
Dans le Credo de Nicée-Constantinople, nous professons l’Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique : elle est une non seulement dans sa propagation sur toute la terre, mais aussi à travers le temps et dans la succession des événements. Les fidèles sont en communion non seulement avec l’Église de leur temps, mais doivent nécessairement aussi être en communion avec l’Église de tous les temps, avec celle des Catacombes, de Constantin, de saint Bernard, de saint Pie V et du bienheureux Pie IX. La lex credendi – et la lex orandi qui l’exprime – ne peut pas être sujette des adultérations dictées par les modes ou les contingences. Mais si la lex orandi née de l’esprit moderniste d’Annibale Bugnini est reconnue comme la seule expression cultuelle de « l’église conciliaire », cela signifie que la doctrine qu’elle exprime est différente – et opposée – à l’enseignement de Notre-Seigneur aux Apôtres, transmis au cours des siècles et fidèlement gardé par l’Église Catholique. Si cette rupture avec la Tradition est reconnue et admise par l’auteur même de Traditionis Custodes, cela place « l’église conciliaire » en dehors de la Tradition catholique, entrainant la perte de légitimité de l’autorité pour promulguer des lois contraires aux fins pour lesquelles le Seigneur l’a instituée.
Je ne sais pas si Votre Excellence partage cette vision, et si Vous considérez la Sainte Messe Tridentine comme inconciliable et étrangère à « l’église synodale ». Il me semble que Votre décision, en plus de révéler un exercice de l’autorité épiscopale délié du devoir de garder le depositum fidei, démontre une distance inquiétante avec le corps ecclésial, victime de l’inconstance et des idiosyncrasies d’une Hiérarchie qui suit son propre programme idéologique sans se soucier le moins du monde des conséquences qu’il peut avoir. Il en résulte une image très peu flatteuse des Pasteurs chez lesquels la rerum novarum cupiditas piétine impunément le Magistère immuable de l’Église, les droits légitimes des prêtres et les besoins spirituels des fidèles ; qui, comme Vous le savez, ne demandent à leur Évêque que d’être laissés libres de jouir d’un rite qui, pendant des siècles, a été la voix priante de l’Église, et que soixante ans d’échecs et d’aberrations ne peuvent pas rendre illégitime simplement parce qu’il en dévoile les tromperies et les falsifications.
Je me demande quelle leçon les fidèles du diocèse de Novare – et les millions de fidèles traditionnels à travers le monde – tireront de cet usage autoritaire du pouvoir, contre les fins mêmes dont il tire sa légitimité. Qu’ils obéissent à un ordre considéré comme injuste, ou qu’ils s’y opposent au nom de l’obéissance à Dieu plutôt qu’aux hommes, l’autorité des Pasteurs en ressort totalement discréditée, parce que ce que, hier, l’Église a enseigné et recommandé est aujourd’hui méprisé et interdit par ceux qui occupent des postes de gouvernements, alors que ce qui était auparavant considéré comme contraire à l’enseignement du Christ est maintenant considéré comme un modèle à suivre.
Que pourra-t-on jamais reprocher aux prêtres et aux fidèles liés à l’usus antiquior, qui puisse scandaliser ceux qui – presque sans conviction et par simple conformisme – se sont résignés à l’imposition du Novus Ordo ? L’adoration de Dieu ? Le recueillement et le décorum dans la célébration ? La richesse inégalée des textes liturgiques traditionnels, comparée à la vacuité délibérément équivoque du rite réformé ? Le désir ardent de voir la gloire de la Cour céleste anticipée sur la terre ? La pieuse contemplation de la Passion du Christ, au lieu d’une agape fraternelle bruyante dans laquelle le Seigneur n’est que l’alibi pour se célébrer soi-même ? Qu’y a-t-il de si intolérable, de si déplorable à vouloir prier avec les paroles sacrées qui nous ont été transmises par deux mille ans de Foi ?
Les fidèles et les prêtres de Vocogno, comme tous les Catholiques dispersés dans les diocèses du monde, trouveront un moyen d’échapper à ces diktats, comme cela s’est produit à l’époque de l’hérésie arienne, lors de la Pseudo-Réforme ou avec le schisme anglican. Leur souffrance pour la privation d’un droit inaliénable est une épreuve de fidélité qui les rend agréables à Dieu, à l’égal de ce que fit le Clergé réfractaire à l’époque de la Terreur en France. Mais ne pensez pas que Vous les gagnerez au nouveau rite, ni que vous les plierez dans leur détermination à rester fidèles à la Religion de leurs pères. Tout au plus, cela peut les empêcher d’avoir la consolation de la Messe quotidienne, ou d’assister aux fonctions d’obligation, mais tout cela ne favorisera ni la concorde entre les fidèles ni leur respect de l’Autorité ecclésiastique.
Le temps leur donnera raison, comme cela s’est toujours produit dans les événements qui ont opposé l’orthodoxie catholique professée par les simples aux déviations hérétiques imposées par une autorité fourvoyée ou soumise au pouvoir. Le Jugement de Dieu leur donnera également raison, à qui Vous devrez rendre compte de votre travail d’Évêque. Ni le sanhédrin bergoglien, ni le conseil presbytéral, ni les faux amis qui Vous soutiennent avec intérêt dans cette bataille déjà perdue pour maintenir ensemble le récit conciliaire maintenant discrédité, ne vous jugeront. Je crois donc qu’une pensée salutaire aux Fins Dernières et à Votre destinée éternelle est plus que jamais opportune, également en considération de l’âge et de l’inévitabilité de la rencontre avec le Juste Juge. Si Vous croyez avoir agi et agir selon la volonté de Dieu, vous n’avez rien à craindre : continuez à considérer les fidèles et les prêtres du Val d’Ossola comme des rebelles, interdisez toutes les Messes traditionnelles et manifestez toute Votre soumission inconditionnelle au puissant du moment. Mais rappelez-Vous que les puissants de ce monde disparaissent, et que ceux qui les ont soutenus et aidés sont destinés à les suivre dans l’oubli ou la condamnation unanime.
Avec l’espoir que la conscience du temps qui Vous reste pour mériter la gloire éternelle Vous incite à revenir sur Vos pas et à poser un geste de vraie Charité envers les fidèles qui Vous sont confiés, j’assure Votre Excellence du souvenir dans le Saint Sacrifice de la Messe (de saint Pie V, bien sûr), implorant le Paraclet d’illuminer par le don de Conseil Votre Révérendissime Excellence, dont je me dis très dévoué
In Christo,
+ Carlo Maria Viganò, Archevêque
18 Novembre 2022
In Dedicatione Basilicarum Ss. Apostolorum Petri et Pauli
Post Scriptum :
Cette lettre ouverte s’adresse également aux Confrères de Mgr Brambilla et à tous les Évêques qui se trouvent exposés aux pressions de la Curie Romaine afin qu’ils annulent systématiquement les effets bénéfiques du Motu Proprio Summorum Pontificum.
©Traduction de F. de Villasmundo