Cathedra veritatis

Mgr. Carlo Maria Viganò

Cathedra veritatis

Homélie en la fête de la Chaire de saint Pierre à Rome

Deus, qui beato Petro Apostolo tuo,
collatis clavibus regni cælestis,
ligandi atque solvendi pontificium tradidisti:
concede; ut, intercessionis ejus auxilio,
a peccatorum nostrorum nexibus liberemur.

Loué soit Jésus-Christ.

Aujourd’hui, l’Église de Rome célèbre la fête de la Chaire de Saint Pierre, avec laquelle l’autorité que Notre-Seigneur a conférée au Prince des Apôtres trouve dans la Chaire son symbole et son expression ecclésiale. On retrouve des traces de cette célébration depuis le IIIe siècle, mais c’est à l’occasion de l’hérésie luthérienne que Paul IV, en 1558, établit que la fête de la Chaire qua primum Romæ sedit Petrus ait lieu le 18 janvier, en réponse à la négation de la présence de l’Apôtre à Rome. L’autre fête, pour la Chaire du premier diocèse fondé par Saint Pierre, Antioche, est célébrée par l’Église universelle le 22 février. 

Permettez-moi de souligner cet aspect important : de même que le corps humain développe des anticorps lorsque la maladie survient, afin qu’il puisse se défendre lorsqu’il est infecté ; ainsi, le corps ecclésial se défend de la contagion de l’erreur lorsqu’elle se produit, affirmant plus incisivement les aspects du dogme menacés par l’hérésie. C’est pourquoi, avec une grande sagesse, l’Église a proclamé des Vérités de Foi à des moments précis et pas avant, car ces Vérités étaient jusqu’alors crues par les fidèles sous une forme moins explicite et articulée et qu’il n’était pas encore nécessaire de les préciser. Les Canons sacrés du Concile œcuménique de Nicée répondent à la négation arienne de la nature divine de Notre-Seigneur et trouvent un écho dans les splendides compositions de l’ancienne liturgie ; à la négation de la valeur sacrificielle de la Messe, de la Transsubstantiation, des suffrages, des indulgences répondent les Canons sacrés du Concile de Trente, et avec eux les textes sublimes de la Liturgie. La fête d’aujourd’hui répond à la négation anti-papale de la fondation du Diocèse de Rome par l’Apôtre Pierre, fête voulue par Paul IV précisément pour réitérer cette vérité historique contestée par les Protestants et renforcer la doctrine qui en découle. 

À l’inverse, agissent les hérétiques et leurs épigones néo-modernistes qui infestent l’Église du Christ depuis soixante ans. Et là où ils ne nient pas effrontément le Magistère catholique, voici qu’ils essaient de l’affaiblir en le taisant, en l’omettant, en le formulant de manière à le rendre équivoque afin de le rendre acceptable même par ceux qui le nient. Ainsi agirent les hérésiarques du passé ; c’est ainsi que les novateurs ont agi à Vatican II ; c’est ainsi que de nos jours agissent ceux qui, pour ne pas être accusés d’hérésie formelle, cherchent à effacer ces « défenses immunitaires » dont l’Église s’était dotée, afin de faire tomber dans l’erreur les fidèles et de les infecter avec le fléau de l’hérésie. Presque tout ce que – grandissant harmonieusement comme un enfant qui devient adulte et se fortifie dans le corps et dans l’esprit – le Corps mystique avait sagement développé au cours des siècles (et en particulier au cours du deuxième millénaire de l’ère du Christ) a été volontairement obscurci et censuré, sous l’excuse trompeuse de revenir à la primitive simplicité de l’antiquité chrétienne, et dans le but inavouable d’adultérer la Foi catholique afin de plaire aux ennemis de l’Église. Si vous prenez le missel montinien, vous n’y trouverez pas d’hérésies explicites ; mais si vous le comparez avec le Missel traditionnel, vous constaterez que l’omission de tant de prières composées pour défendre la Vérité révélée était plus que suffisante pour rendre la messe réformée acceptable même pour les luthériens, comme ils l’ont eux-mêmes admis après la promulgation de ce rite funeste et équivoque. Comme pour le confirmer même les fêtes de la Chaire de Saint-Pierre à Rome et à Antioche ont été unifiées, au nom de cette cancel culture que la secte moderniste a adoptée dans la sphère ecclésiastique bien avant que la Gauche woke ne se l’approprie dans le domaine civil. 

Aujourd’hui nous célébrons les gloires de la Papauté, symbolisées par la Cathedra Apostolica que le génie du Bernin a artistiquement composée sur l’autel de l’abside de la Basilique vaticane, dominée par le vitrail d’albâtre avec l’Esprit Saint et soutenue par quatre Docteurs de l’Église : saint Augustin et saint Ambroise pour l’Église latine, saint Athanase et saint Jean Chrysostome pour l’Église grecque. Dans le projet original, qui est resté intact à travers les siècles, la Chaire était située au-dessus d’un autel, que la fureur dévastatrice des novateurs n’a pas épargné, le déplaçant entre l’abside et le dais de la Confession. Pourtant, c’est précisément dans l’unité architecturale de l’autel et de la chaire – aujourd’hui délibérément effacée – que nous trouvons le fondement de la doctrine de la Primauté de Pierre, fondée sur le Christ, lapis angularis, tout comme l’autel du sacrifice, également symbole du Christ, est fait de pierre. 

Nous célébrons la Papauté dans une phase historique de crise grave et d’apostasie, qui s’est élevée jusqu’à ce Siège sur lequel Pierre s’est assis le premier. Et tandis que nos cœurs se déchirent en contemplant les ruines causées par la dévastation des novateurs au détriment de tant d’âmes et de la gloire de la Majesté divine ; tandis que nous implorons du Ciel une lumière qui nous permette de comprendre comment combiner le Non prævalebunt avec cette marée d’hérésies et de scandales répandus par celui que la Providence nous a infligé à la tête du corps ecclésial comme punition pour les péchés commis par la Hiérarchie au cours de ces décennies ; tandis que nous voyons la division s’insinuer parmi ceux qui se sont illusionnés d’avoir encore un Pape séquestré dans le Monastère… et le schisme dans les diocèses d’Europe du Nord avec leur abominable chemin synodal très fortement voulu par Bergoglio, tombe sous nos yeux la prophétie de Léon XIII d’heureuse mémoire, qui a voulu insérer dans la prière de l’Exorcisme contre Satan et les anges apostats ces terribles paroles qui, à l’époque, ont dû sembler presque scandaleuses, mais que nous comprenons aujourd’hui dans leur sens surnaturel :

Ecclesiam, Agni immaculati sponsam, faverrimi hostes repleverunt amaritudinibus, inebriarunt absinthio ; ad omnia desiderabilia ejus impias miserunt manus. Ubi sedes beatissimi Petri et Cathedra veritatis ad lucem gentium constituta est, ibi thronum posuerunt abominationis et impietatis suæ ; ut percusso Pastore, et gregem disperse valeant. 

De terribles ennemis ont rempli d’amertume l’Église, épouse de l’Agneau immaculé, ils l’ont empoisonnée avec de l’absinthe ; ils ont mis leurs mains impies sur toutes les choses désirables. Là où le Siège du Très Bienheureux Pierre et la Chaire de Vérité ont été établis pour éclairer les nations, ils y ont placé le trône de leur abomination et de leur impiété, afin qu’en frappant le Berger, ils puissent aussi disperser le troupeau. Ce ne sont pas des mots écrits au hasard : ils ont été rédigés après que Léon XIII, à la fin de la Messe, eut une vision dans laquelle le Seigneur accordait à Satan une période d’environ cent ans pour mettre à l’épreuve les hommes d’Église. Ils font écho au message de la Sainte Vierge à La Salette, cinquante ans plus tôt : « Rome perdra la foi et deviendra le siège de l’Antéchrist », et précèdent d’un peu plus d’une décennie cette troisième partie du Secret de Fatima dans laquelle, selon toute vraisemblance, Notre-Dame a prédit l’apostasie de la Hiérarchie avec le Concile Vatican II et la réforme liturgique. 

Chaque croyant, au cours des siècles, a pu considérer Rome comme un phare de vérité. Aucun Pape, pas même les plus controversés de l’Histoire comme Alexandre VI, n’a jamais eu la hardiesse d’usurper sa Autorité Apostolique pour démolir l’Église, adultérer son Magistère, corrompre la Morale, banaliser la Liturgie. Dans les tempêtes les plus violentes, la Chaire de Pierre est restée inébranlable et, malgré les persécutions, elle n’a jamais failli au mandat qui lui a été conféré par le Christ : Pais mes agneaux. Pais mes brebis (Jn 21, 15-19). Aujourd’hui, et depuis dix ans maintenant, paître les agneaux et les brebis du troupeau du Seigneur est considéré par celui qui occupe le trône de Pierre comme une « sottise solennelle », et le commandement que le Seigneur a donné aux Apôtres – Allez donc et faites de toutes les nations des disciples, baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à observer tout ce que je vous ai commandé (Mt 28, 19-20) – est considéré comme un « prosélytisme » déplorable, comme si la mission divine de la Sainte Église était comparable à la propagande hérétique des sectes. Il l’a dit le 1er octobre 2013 ; le 6 janvier 2014 ; le 24 septembre 2016 ; le 3 mai 2018 ; le 30 septembre 2018 ; le 6 juin 2019 ; le 20 décembre 2019 ; le 25 avril 2020 et de nouveau le 11 janvier dernier. Et ici s’effondre le dernier vestige, de ce que fut Vatican II, qui a fait de la mission [missionarietà] son mot d’ordre, sans comprendre que pour annoncer le Christ à un monde paganisé, il faut d’abord croire aux Vérités surnaturelles qu’Il a enseignées aux Apôtres et que l’Église a le devoir de garder fidèlement. Diluer la doctrine catholique, la taire, la trahir pour plaire à la mentalité du siècle n’est pas l’œuvre de la Foi, parce que cette vertu est fondée sur Dieu qui est la Vérité suprême ; ce n’est pas une œuvre d’Espérance, parce qu’on ne peut espérer le salut ou l’aide d’un Dieu dont on rejette l’autorité et l’amour salvifique ; ce n’est pas une œuvre de Charité, parce qu’on ne peut aimer Celui dont l’essence est niée. 

Quel est le vulnus qui a frappé le corps ecclésial, rendant possible cette apostasie des membres de la Hiérarchie, au point de provoquer un scandale non seulement chez les Catholiques, mais aussi parmi les gens du monde ? C’est l’abus de l’autorité. C’est croire que le pouvoir lié à l’autorité peut être exercé dans le but opposé à celui qui légitime l’autorité elle-même. C’est prendre la place de Dieu, usurper Son pouvoir suprême pour établir ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, ce qui peut encore être dit aux gens et ce qui doit être considéré comme démodé ou dépassé, au nom du progrès et de l’évolution. C’est utiliser le pouvoir des Saintes Clés pour délier ce qui doit être lié et lier ce qui doit être délié. C’est ne pas comprendre que l’autorité n’appartient qu’à Dieu et à personne d’autre, et que les dirigeants des nations et les prélats de l’Église sont tous hiérarchiquement soumis au Christ Roi et Pontife. En bref, c’est séparer la Chaire de l’autel, l’autorité du Vicaire et du Régent de celle de Celui qui la rend sacrée, ratifiée d’en haut, parce qu’Il en possède la plénitude et en est l’origine divine.

Parmi les titres du Pontife Romain revient, avec Christi Vicarius, aussi celui de Servus servorum Dei. Si le premier a été rejeté avec dédain par Bergoglio, son choix de garder le second sonne comme une provocation, comme le démontrent ses mots et ses œuvres. Le jour viendra où il sera demandé aux prélats de l’Église de clarifier quelles intrigues et conspirations ont pu conduire sur le Trône de Pierre quelqu’un qui agit comme serviteur des serviteurs de Satan, et pourquoi ont-ils assisté passivement à ses intempérances ou se sont rendus complices de cet orgueilleux tyran hérétique. Qu’ils tremblent ceux qui savent et qui se taisent par fausse prudence : par leur silence, ils ne protègent pas l’honneur de la Sainte Église, ni ne préservent les simples du scandale. Au contraire, ils plongent l’Épouse de l’Agneau dans l’ignominie et l’humiliation, et éloignent les fidèles de l’Arche du salut au moment même du déluge.

Prions pour que le Seigneur daigne nous accorder un saint Pape et de saints gouvernants. Implorons-Le de mettre fin à cette longue période d’épreuve, grâce à laquelle, comme tout événement permis par Dieu, nous comprenons combien il est fondamental d’instaurare omnia in Christo, de tout récapituler en Lui ; combien infernal – littéralement – est le monde qui rejette la Seigneurie du Christ, et combien plus infernale une religion qui se dépouille avec mépris de ses vêtements royaux – vêtements empourprés avec le Sang de l’Agneau sur la Croix – pour devenir la servante des puissants, du Nouvel Ordre Mondial, de la secte mondialiste. Tempora bona veniant. Pax Christi veniat. Regnum Christi veniat.

Ainsi soit-it. 

+ Carlo Maria Viganò, Archevêque

18 janvier 2023
Cathedra sancti Petri Apostoli, qua primum Romae sedit

©Traduction de F. de Villsamundo

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