Popule meus, quid feci tibi?
Popule meus, quid feci tibi?
Méditation pour le Vendredi de Parascève
O mon Peule, que t’ai-je fait ? En quoi t’ai-je contristé ? Alors que nous nous préparons à adorer le Bois béni de la Croix, les paroles des Impropères résonnent dans nos cœurs. Ce sont des paroles de reproche inconsolable, d’une souffrance déchirante du Seigneur qui s’adresse à son peuple et à chacun de nous. Paroles d’un Dieu qui s’est fait homme pour sauver chacun de nous, mourant dans la plus infâme des tortures, et qui, à Gethsémani, regarde avec horreur la multitude des péchés de tous les temps, de tous les hommes.
Άγιος ο Θεός, άγιος ισχυρός, άγιος αθάνατος ελέησον ημάς, Sanctus Deus, Sanctus Fortis, Sanctus Immortalis, miserere nobis, crie l’humanité du Christ au Père, implorant le pardon en notre nom, comme Seigneur de l’humanité et Chef du Corps Mystique. Comme l’Agneau de Dieu qui a pris sur Lui les péchés du monde. Et dans ce cri inconsolable est contenu l’amour infini si souvent non correspondu, l’ardente Charité outragée par l’égoïsme, la conscience de notre ingratitude devant la magnificence infinie des dons reçus.
Une seule goutte du Sang très précieux de Notre Seigneur aurait suffi à racheter le monde entier : cujus una stilla… Mais la Charité de Dieu – la Charité qui est Dieu lui-même – ne connaît aucune mesure, et va jusqu’à donner la vie du Fils incarné pour nous racheter, nous, enfants de la colère. Nous qui avons mille fois craché sur ce visage béni, frappé avec un roseau cette sainte tête couronnée d’épines, déchiré ces chairs très saintes avec des fouets, planté des clous dans ces mains vénérables.
Regardons le Rédempteur sans vie, opprobrium hominum et abjectio plebis (Ps 21, 6). Le Roi des rois élevé sur l’échafaud réservé aux esclaves. Le Grand Prêtre Éternel moqué par le Sanhédrin. Le plus beau des enfants de l’homme rendu méconnaissable, dépouillé de ses vêtements, exposé aux moqueries et aux insultes. Et pour qui ? Pour des âmes desséchées, pour des cœurs pétrifiés, pour des esprits rebelles.
Pourtant, dans cette représentation sacrée qui entraîne la nature, obscurcit le ciel et ébranle les profondeurs de la terre en assistant à la mort de l’Homme-Dieu, nous pouvons à peine voir l’abîme de l’Amour divin, dont seul un Dieu est capable.
L’Adversaire ne comprend pas la miséricorde parce qu’il ne connaît pas l’amour, il n’est pas capable d’aimer, ni d’être aimé. Il ne comprend pas que la seule raison pour laquelle la Divine Majesté tolère la présence du péché est qu’elle est une occasion de repentance et de conversion, et que précisément dans la Miséricorde d’un Dieu qui en vient à s’offrir Lui-même pour racheter l’humanité pécheresse se manifeste la cohérence parfaite de la Vérité et de la Charité, de la Justice et de la Miséricorde.
Dans l’illusion délirante de vaincre Dieu en Le tuant sur la Croix, Satan a signé sa propre condamnation. O mors, ero mors tua. Morsus tuus ero, inferne (1 Co 15, 55 ; Os 13:14). O mort, je serai ta mort ; je serai ta ruine, enfer ! Ut unde mors oriebatur, inde vita quoque resurgeret ; et qui in ligno vincebat, in ligno quoque vinceretur : pour que d’où venait la mort, naisse la vie ; et celui qui gagnait avec la Croix, avec la Croix devait être vaincu (Préface de la Croix). Cet instrument de torture et de mort est devenu le trône du Seigneur de la vie, duquel Il règne. Regnavit a ligno Deus. Quel mystère insondable ! Et quel abîme de sourd égoïsme, celui de Satan, d’orgueil aveugle, de ressentiment muet qui dévore l’âme perdue de l’ange le plus brillant. La même ὕβρις insensée, le même délire de toute-puissance anime les méchants de la terre, les ennemis du Christ et de son Église, qui croient pouvoir faire tomber le Seigneur des armées et Lui arracher les âmes que son Fils Lui a rachetées en mourant.
La haine de Satan n’est pas infinie, ni infinie sa puissance, ni éternel le royaume du Prince de ce monde ; tandis que la Charité de Dieu est infinie, Sa toute-puissance infinie et Son royaume infiniment éternel. Infinie sa Miséricorde, qui brûle tout péché et tout manquement les consumant dans le feu de son Amour pour nous, pauvres créatures, si seulement nous nous rendons à Lui, nous reconnaissant pécheurs et en quête de pardon et d’aide, pour ensuite participer à Sa béatitude éternelle, à Sa gloire. Nous avons été créés pour aimer et être aimés. Pour rendre par notre néant le Tout que nous avons reçu sans mérite. Pour nous laisser aimer de Dieu, comme nous nous laissons réchauffer et illuminer par le Soleil, comme l’enfant se laisse embrasser et tenir dans les bras forts de son père, sans crainte d’être écrasé.
Misericordiam volo, et non sacrificium (Mt 9, 13), nous dit le Seigneur. Parce que la miséricorde divine s’est manifestée dans le Sacrifice du Fils éternel du Père, que nous perpétuons sous une forme non sanglante dans la Messe ; et nous devons répondre à ce miracle de la Charité divine en offrant ce qui nous coûte le plus – notre amour-propre, notre ego, notre prétention à mériter quelque chose alors que nous devons tout – en faisant miséricorde à nos frères et sœurs, et en le faisant dans la conscience que personne n’a de plus grand amour que celui qui donne sa vie pour ses amis (Jn 15, 13).
Tel est le mystère de Dieu : l’ardente Charité qui enveloppe et enflamme tout. Et le mysterium iniquitatis consiste dans l’incapacité de se plier à cet amour, dans l’obstination à mener une bataille perdue d’avance, dans l’illusion que le Mal peut vaincre le Bien, que le mensonge peut obscurcir la Vérité, que les ténèbres peuvent submerger la Lumière, que la créature peut vaincre le Créateur.
Prosternons-nous en adoration devant la Croix et répétons ces paroles que nous connaissons déjà, mais dont nous ne comprendrons jamais assez le sens : Adoramus te, Christe, et benedicimus tibi : quia per sanctam Crucem tuam redemisti mundum.
+ Carlo Maria Viganò, Archevêque
7 Avril 2023
Feria VI in Parasceve
© Traduction de F. de Villasmundo